La piste nous a bercées d’images répétitives et fabuleuses. Ces images, on peut les faire défiler sans légende, les faire revenir et les coller comme des siamois ou les désunir à la manière des acrobates après leur numéro. Sur une table, elles seraient un jeu de cartes jeté au hasard, mais retombant avec précision. Elles se développent dans la chambre noire de la mémoire. Comme si le cirque contenait en lui des négatifs perdus, une série d’illuminations ou d’épiphanies fluorescentes.
Le tirage émerveillé de toute cette féerie, on le trouve dans les photographies de Tina Merandon. Elle a vite saisi que de simples clichés de reportage ne suffiraient pas à capter ce mouvement perpétuel des formes. Elle sait bien l’image-magique existe en elle-même, que la fragile toile du chapiteau tient dans sa membrane les ombres chinoises de tous les artistes de la piste.
De manière magistrale, elle laisse venir à nous ces silhouettes blanches. Elle nous les montre flottantes dans l’hélium, aériennes ou inquiétantes, toujours prises dans la beauté d’un geste. Les photographies de Tina Merandon ont ceci en propre qu’elles découpent les corps sur des fonds noirs de graphite scintillant. Parfois, l’écuyère ou le voltigeur sont surexposés, au danger comme à la lumière. Puis il y a les monstres venus des contrées les plus reculées du rêve, l’homme volant et le clown flamme, l’éléphant et la jeune fille, et encore la femme-nénuphar dépliant son ombrelle au-dessus du vide, retenue d’un fil à la pesanteur du monde.
Toutes ces images nous regardent, nous et notre enfance, nous et l’inquiétante étrangeté de tout ce qui est vivant, elles sont le réel, enfin photographié.
Yan Ciret 1999
The dance floor has lulled us with repetitive and fabulous images. These images, we can scroll them without a caption, make them come back and stick them together like Siamese twins or disunite them like acrobats after their act. On a table, they would be a deck of cards thrown at random, but falling back with precision. They develop in the darkroom of memory. As if the circus contained within it lost negatives, a series of illuminations or fluorescent epiphanies.
The marvelous print of all this enchantment is found in the photographs of Tina Merandon. She quickly understood that simple reportage shots would not be enough to capture this perpetual movement of forms. She knows that the magical image exists within itself, that the fragile canvas of the big top holds in its membrane the shadowy figures of all the artists in the ring.
In a masterly way, she lets these white silhouettes come to us. She shows them floating in helium, aerial or disturbing, always caught in the beauty of a gesture. Tina Merandon’s photographs have the particularity of cutting out the bodies on black backgrounds of glittering graphite. Sometimes, the horsewoman or the acrobat are overexposed, to danger as well as to light. Then there are the monsters coming from the most remote regions of the dream, the flying man and the flame clown, the elephant and the young girl, and the water lily woman unfolding her parasol above the void, held by a thread to the gravity of the world.
All these images look at us, us and our childhood, us and the disturbing strangeness of all that is alive, they are the real, finally photographed.
Yan Ciret 1999