Les échappées dansées de Tina Merandon samedi 24 octobre 2009, par Christian Gattinoni
Tina Merandon s’est d’abord consacrée à des corps solitaires et désaffectés en situation de travail. Depuis cette première série, elle se donne au contraire toutes les opportunités de mettre en images des rencontres de corps qui se trouvent affectés de la confrontation, du face – à – face.
Elle a ainsi mis en scène l’intimité des corps amoureux, ses couples se trouvent dans la plus grande proximité où le peau à peau se joue des vêtements partiellement ôtés, comme des tendresses esquissées qui sont autant promesses que caresses. Malgré certaines tensions, les corps semblent figés par le bien être même de ce partage. Dans deux séries plus récentes, celles des petits lutteurs, jeunes garçons et petites filles, elle a trouvé avec une distance légèrement plus grande à ses modèles le vocabulaire gestuel de ses chorégraphies potentielles. À peine au – delà du combat simulé et ainsi juste en deçà d’une danse qui ne veut faire unisson.
En l’invitant à résidence pour ses Photaumnales 2009, Beauvais lui demandait d’explorer la ville sur le thème des « Quartiers libres ». Le livre et l’exposition éponyme qui en résultent poursuivent cette quête de mouvements, en antagonisme ou synergie, cherchant dans cette chorégraphie toujours mieux assumée une possibilité d’échappée hors des matières de la cité. Celles-ci se trouvent amorcées en ouverture par une surface peinte ou plutôt violemment taguée de jets de peinture, comme un rideau qui s’ouvre sur la scène urbaine.
Si les duos sont les plus nombreux, plusieurs groupes de trois protagonistes se trouvent aussi scénographiés, quatre personnages solitaires dans l’image se confrontent, en réaction directe à des matériaux ou décors de la ville. La dernière jeune fille trouve son propre élan par de là un grillage qui lui permet de retrouver une nature d’un vert idyllique. Cette trajectoire globale d’Escape est contredite par la reprise en 4° de couverture d’un combat ou de sa simulation dans la terre d’un terril.
Dans sa préface, Yan Ciret considère ces luttes et jeux dansés comme un pur langage : « C’est une communication muette, en langue des signes, où chacun essaie de faire de l’autre un alter ego, un double, un gémeau stellaire. » Ce qui se partage là est en effet ce qui unit habituellement ceux qui participent à quelque activité sportive ou ludique. Suivant les images, on pense à des passes de basket, à des séquences de quelque sport de combat sans les accessoires ni la compétitivité, ou encore à des entraînements de tai-chi. Le chorégraphe Rachid Oumradane a ainsi dans « Surface de réparation » fait danser de jeunes champions en poussant à l’excès leurs mouvements jusqu’à une forme et un tempo dansés. Les rythmes chez la photographe proviennent du montage en succession des images. Dans le sentiment de vitesse en suspension comme dans le choc des entités corporelles, on pense aussi au premier Wim Van de Keybus, celui qui après avoir posé pour Mapplethorpe mettait en scène « Ce dont le corps ne se souvient pas ». Lorsque le décor de la ville du Nord se fait plus présent avec ses murs de briques, on repense au même danseur se produisant dans la vidéo-danse de Jan Fabre « Body, little body on the wall ».
Pour être tout à fait complet dans ces approches comparatives, ce travail apparaît aux antipodes de la froideur technologique des envolées des danseurs saisis par Loïs Greenfield en noir et blanc à l’acmé de leur saut. Il n’y a pas chez Tina Merandon d’apogée du beau moment, mais elle sait au contraire nous faire partager par ses cadrages le sentiment de surprendre une action en cours. La gestuelle est toujours juste, mais moins que la tension entre les corps.
Christian Gattinoni