Tina Merandon

BABEL – TEXTE JOËLLE GONTHIER – 2019

Joëlle Gonthier- Babel – 2019

Si tu habitais Babel, la reconnaîtrais-tu ? Saurais-tu que tes jours sont rythmés par des langues qui façonnent la tienne et que tes mots aussi s’incrustent dans des vies ? Tu es natif/ve d’ici ou peut-être d’ailleurs, mais tu vis, tu existes et tes tempes palpitent à traverser les rues confuses de nuances, de clameurs et de souffles. Et, dans la ligne 9 qui sillonne la Terre, tu es semblable à d’autres dont les mains te rappellent que les tiennes travaillent à atteindre le ciel. Errance passagère. Exil sans cesse revécu à cadences d’horloge. D’eux, tu n’attends que quiétude, retenue, bienveillance, mais voilà qu’ils s’agitent et descendent avec toi pour sortir vers le ciel d’une place publique. Savais-tu que Babel était en bout de ligne ?  Savais-tu que Montreuil était aussi son nom ?

Et maintenant Tina t’attend pour te saisir dans une identité qui se révèle à toi au gré d’une lumière qui ménage des ombres et résonne de chants murmurés de mémoire. Faites d’embrassements, de grappes de destins, de rencontres éphémères ou de chocs inouïs, d’amours et de ruptures ou de douceurs exquises, de profondeurs de champ prises pour méditer, de gros plans colorés par des regards humains, les images te prouvent que tu es à Babel. Tu t’imagines hors champ, pas toi, pas légitime et t’es en plein dedans !

Quelques murs tiennent encore soutenus par des dos, et tu vois dans les fruits élevés grâce à eux, références aux péchés, autant que la saveur de savoir que s’écoulent des saisons accomplies dans des fictions urbaines. L’emprise d’une cité, une tour qui assaille l’espoir à grands coups d’ascenseur, une Croix-de-Chavaux servant de carrefour, les dalles de La Noue… Les photos ne sont pas issues de catalogue. Pas d’inventaire normé. Aucun recensement pour dénombrer les uns, sélectionner les autres, faire des exceptions pour confirmer la règle. Pas de décor en fond et pourtant nous y sommes : Babel est dans nos veines.

Si tu croisais de l’art, le reconnaîtrais-tu ? Saurais-tu le saisir en fractions de secondes et pixels agencés côte à côte en image ? Saurais-tu le cadrer, le maintenir en plan qui dirait le Babel que ta ville appelle ? Ici bat plus qu’ailleurs une pulsion du monde. Ici des êtres agissent. Ils s’acharnent à vivre, inventent comme ils peuvent le tour de leur journée en sachant qu’ils sont plus, dès l’instant, qu’ils font nombre. S’élever grâce à d’autres comme on grandit en bandes, s’associer pour ses rêves autant que contre chaînes. Tu glisses dans l’image. Pas celle du selfie, des photos de famille ou de l’identité sans lunettes et sans rire. Tu es en instance d’art. Au bord, au bord de l’art et peut-être dedans. La confiance à faire, l’abandon accepté… tu accomplis ces pas avec Tina. Sans son humanité, elle n’aurait pas la tienne ! Babel a bien un prix : le respect ! Mais, savais-tu qu’ici, « regard » en est son synonyme ?

Joëlle Gonthier, Montreuil le 12 avril 2019

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